Netflix : comment voyage une fausse information ?

Netflix : comment voyage une fausse information ?


Analyse détaillée et comparative de 81 articles de presse sur le glyphosate entre le 27 et 29 novembre 2017.

Comment aborder cette problématique ?

Tous les médias commettent des erreurs, mais tous ne l'assument pas de la même façon.

Il y a quelques semaines, les journaux relayaient l'histoire de Netflix qui aurait contacté - inquiet - l'un de ses utilisateurs après 188 heures passées devant une série en l'espace de quelques jours. Le récit était étonnant, touchant mais également mensonger.

Nous utiliserons cet événement comme un prétexte pour étudier en détails la propagation d'une fausse information dans l'espace médiatique. Comment un simple commentaire Reddit s'est-il retrouvé dans le Figaro ? Certains articles ont-ils émis des doutes ? Les médias osent-ils vraiment créditer leurs sources ? Comment les journaux réagissent t-ils en découvrant le pot aux roses ? Et comment s'est propagé le démenti de Netflix ?

Cet article n'est pas une défense de Monsanto, ni des modèles agricoles actuels. Il espère en revanche vous convaincre que les médias ne nous permettent pas d'appréhender ce débat objectivement.

C'est l'histoire d'une "Fake News"

Notre histoire commence le 12 décembre dernier avec le témoignage d'un utilisateur Reddit affirmant avoir été contacté par Netflix. Même si celui-ci n'apporte aucune preuve appuyant son récit, le message gagnera en popularité au point d'être relayé par le Daily Mail et 9Honey quelques jours plus tard. Numerama nous propose un excellent résumé de la situation si vous souhaitez en apprendre d'avantage.

Deux mois plus tard, Pizzabottle (un site dont on vous laissera le soin de juger le sérieux) réchauffe l'information sans raison apparente. C'est dans ce contexte que Slate.fr introduit l'histoire en France :

Chronologie




Voir la cartographie :

Cartographie


Voir la méthodologie ennuyante:

Méthodologie ennuyante :

Choix des sites : Les articles de presse traitant du sujet ont été pris en compte autant que possible. Quelques sites ont cependant été exclus : les médias québecois (à cause du décalage horaire), les sites high-tech (presse-citron etc.) et de divertissement (gentside etc.) ainsi que certains journaux peu connus (linfo.re, l'ADN). A noter que l'intégration de la presse féminine dans ce classement (Grazia, Glamour etc.) peut porter à débat.

Choix de la date : La période traitée commence le 1er février et se termine le 14 février, ce qui permet de couvrir l'ensemble de l'événement médiatique.

Obtention des articles : Via une requête dans Google Actualité : "netflix" et "netflix 188" avec un filtre par date. Les grands médias absents des résultats (Le Monde, BFMTV...) ont fait l'objet de requêtes spécifiques "netflix site:lemonde.fr" mais sans résultat.

Obtention des horaires : Via les articles eux-mêmes quand les informations sont indiquées. Le cas contraire, le code source de la page est exploré.

Obtention des partages Facebook : Via le site Sharedcount.com avec l'url des articles. Certains articles ont été supprimés/modifiés ce qui complique les recherches. Certaines de ces informations ne sont donc pas toujours disponibles.

Estimation des partages Facebook manquants : Il est possible de se passer des 4 articles manquants dans le calcul des statistiques, mais les infographies nécessitent un jeu de donnée cohérent. Les visuels de ce billet ont donc tenté d'estimer le nombre de partages Facebook des articles manquants afin de combler les trous. La méthode utilisée consiste à extrapoler les données correctement documentées aux articles manquants. En rouge l'audience Facebook des articles avant le correctif du journal, en bleu après.

Jeu de données réelles :

Extrapolation pour les 4 articles manquants (médiane des 5 exemples précédents et ajout d'une marge de x100 au cas où)

Les infographies représentent donc un scénario prudent.

Représentation des articles : Un article diffusant le hoax mais modifié pour ensuite diffuser le débunkage est représenté comme deux articles distincts. Deux articles mineurs ont été masqués dans la première infographie chronologique pour des raisons de mise en page.

Disponibilité des données : Le tableur est téléchargeable sur ce lien.

Diffusion de l'information :

La chronologie française se décompose en 2 phases distinctes :

  • Du 10 au 12 février : les médias français relaient massivement le récit.
  • Du 13 au 14 février : les médias français relaient massivement le démenti.

La diffusion est assez graduelle, seulement 4 médias reprennent l'information le premier jour, contre 0 le deuxième (un dimanche) et 16 le troisième. A l'inverse, le démenti de Netflix s'est principalement diffusé sur une seule journée.

Ces premières données sont assez rassurantes : elles démontrent une très forte réactivité des médias dans la diffusion du démenti. Ce dernier arrivant à occuper l'espace médiatique en une seule journée.

Analyse détaillée

konbinidhnet.belalibre.netladepeche7sur7.be

Répartition des sources - HOAX
RedditPizzaBottlebibamagazinecnewsmatinglamourparisgraziahuffingtonpostlaprovencenice-matinlciledauphinelefigaronicematinrepublicain-lorrainslatevsddhnet.befrancesoirkonbinilalibre.belavoixdunordsputnik

Répartition des sources - Debunkage
NetflixAFPdhnet.beladepechelalibre.belatribunelexpressliberationsudinfo.belefigarocnewsmatineurope1vingtminutes.chfrancetvinfoglamourparislardennaisledauphineleparisienleprogreslunionrepublicain-lorrainhuffingtonpostkonbinilesoir.beslatevingtminutes

LE TRUC DU JAVASCRIPT EST ICI

Changez ce texte en cliquant sur le bouton.

L'orientation des titres est certainement l'une des variables les plus intéressantes à analyser. Si tout le monde ne s'intéresse pas forcément à un sujet donné, tout le monde lit les titres et en subit les influences.

Mais surprenamment, nous avons ici un traitement de l'information honorable. Les titres clairement orientés anti-glyphosate ne représentent que 14% du panel et ceux-ci n'ont pas fait l'objet d'une audience particulière (constat inhabituel sur ce blog).

On remarque cependant un effacement des titres favorables au glyphosate, s'ils correspondent à 13% des articles, ils ne font que 2% de l'audience. Cette donnée peut-être lue comme une très probable illustration du classique biais de confirmation.

contre le glyphosate,  plutôt contre le glyphosate,  ne prend pas position,   plutôt favorable au glyphosate, favorable au glyphosate

Une faible diversité de points de vue

Si dans l'ensemble, les titres ont été assez neutres, qu'en est-il des articles eux-mêmes ? Est-ce réellement le désastre annoncé ?

59% des articles proposés s'opposaient au glyphosate, dont 24% de façon assez virulente. Ce déséquilibre médiatique est bien moins prononcé qu'attendu, mais alors que nous aurions pu nous réjouir des 26% d'articles favorables, ces derniers n'ont finalement représenté que 4% de l'audience. Comme à notre habitude, nous constatons qu'écrire des billets peu rigoureux n'est pas réellement sanctionné par l'audience.

Attention au code couleur utilisé, le vert indique des articles favorables au glyphosate et non des articles exemplaires. Nous verrons plus bas que la nuance est de taille.

contre + plutôt contre le glyphosate,  ne prend pas position, favorable + plutôt favorable au glyphosate

Une fracture idéologique

Refaisons le même exercice en séparant les journaux par orientation.

Il se trouve que seulement 3% des articles de journaux classés à gauche sont favorables à l'herbicide alors que 82% s'y opposent. La fracture est évidente quand on regarde la droite qui obtient 24% d'articles favorables (8 fois plus) contre 27% de défavorables (3 fois moins). Il semble donc que sur la thématique précise du glyphosate, s'informer sur des sites orientés à gauche nous enferme dans un biais de confirmation assez significatif.

Mais d'une façon assez surprenante, les différences entre les deux courants politiques s'estompent quand nous comparons directement les audiences des articles. Malgré de nombreuses publications favorables sur les sites de droite, seuls les articles anti-glyphosate ont eu un réel succès.

Vue d'ensemble

Afin de mieux visualiser la situation, résumons l'orientation des articles journal par journal.

La distinction gauche-droite est clairement visible. Le Nouvel Obs et Libération se démarquent dans le mauvais sens avec 100% d'articles orientés, tandis que Les Echos apporte un discours bien plus favorable (à nuancer comme nous le verrons plus bas).

Répartition des arguments

Nous avons relevé le ratio d'arguments pour/contre pour chacun des 81 articles.

La médiane obtenue est de 87% d'arguments contre, ce qui n'est pas réellement une surprise compte tenu des précédents résultats. En revanche, si nous séparons une nouvelle fois les articles par orientation politique, la fracture est plus éclatante que jamais avec 100% d'arguments contre à gauche et 50% à droite !

Non seulement les articles de gauche étaient systématiquement orientés contre le glyphosate, mais aucun argument contradictoire n'y était sérieusement développé. Un lecteur ne lisant que ces médias se formera donc une opinion "personnelle" orientée sans qu'il ne le réalise forcément.

 arguments contre  arguments favorables

Comparaison des arguments utilisés

Les médias de droite semblent être les grands vainqueurs de ce comparatif, c'est pourtant loin d'être aussi simple.

Pourquoi les articles de droite sont-ils davantage "bienveillants" vis-à-vis du glyphosate ? Pourquoi ceux de gauche sont-ils si critiques ? Pour le savoir, examinons les arguments utilisés par thématique :

La situation est caricaturale, mais il semblerait que l'écrasante majorité des arguments utilisés pour défendre le glyphosate sont d'ordre économique... Chercher à interpréter ces résultats reviendrait probablement à enfoncer des portes ouvertes, mais ces données relativisent en partie le bon traitement médiatique des journaux de droite.

Les arguments les plus courants pour critiquer le glyphosate concernent l'impact sur la santé (54%), ce qui est parfaitement attendu et cohérent. Plus surprenamment, l'écologie est très en retrait (9%) tandis que les arguments alimentant les thèses à tendance complotistes sont particulièrement présents (25%).

► Comment ça du complotisme ? ( cliquez pour afficher)

Les arguments encourageant les thèses à tendance complotistes sont ceux qui expliquent le renouvellement du glyphosate en invoquant ; les accusations de science corrompue ; l'invocation du pouvoir des lobbys ; les Monsanto Papers.

Ces accusations ne sont pas forcément fausses individuellement (en particulier les Monsanto Papers qui prouvent des manœuvres douteuses) mais au vu du consensus scientifique majeur sur le sujet, ces hypothèses sont secondaires et coûteuses. Cela reviendrait par exemple à expliquer l'obligation vaccinale en invoquant le lobby pharmaceutique, comme si ce facteur était l'unique raison pouvant justifier cette décision, ce qui alimente les pensées conspirationnistes en occultant l'état de l'art de la science sur le sujet.

Focus sur deux mauvais arguments

Comme nous l'avons expliqué dans la première partie de l'article, le caractère cancérogène du glyphosate est remis en cause par 13 agences scientifiques. Parmi les articles se prononçant, seuls 7% émettent un avis rassurant !

Mais même si on admet que ces risques existent réellementles seules personnes exposées à des doses pertinentes sont très certainement les agriculteurs (rappelons que l'OMS et la FAO indiquent bien que les consommateurs ne craignent rien).

Il s'avère pourtant que les médias sont loin d'en tenir compte : seuls 25% évoquent au moins partiellement un problème spécifique aux agriculteurs... Les 75% restant se trompent donc littéralement de débat.

 s'inquiète pour les consommateurs / alarmiste  s'inquiète pour les agriculteurs / rassurant

Un consensus scientifique systématiquement ignoré

14 agences scientifiques se sont prononcées sur la cancérogénicité du glyphosate. Comment les médias ont-ils relayé ce très large consensus scientifique en faveur de l'herbicide ?

Sans surprise, celui-ci a été littéralement ignoré. Seul l'avis pourtant minoritaire du CIRC est omniprésent, l'EFSA et l'ECHA sont cités (généralement en même temps) mais bien moins souvent. C'est un cas d'école de false-balance, en ne citant que trois agences, le public ne peut qu'imaginer une incertitude scientifique.

Que l'on soit favorable ou non au glyphosate, il n'y a aucune raison de tronquer ainsi le débat.

Expertise vs idéologie

Les médias ne se sont visiblement pas basés sur le consensus scientifique... Mais alors, qui ont-ils écouté ?

Malgré la grande complexité du sujet, seuls 7% des articles ont interrogé un expert, c'est à dire une personne compétente et reconnue sur le sujet. Dans l'écrasante majorité des cas, il s'agissait d'un membre de l'INRA pour évoquer les alternatives au glyphosate, seul le Figaro se démarque avec une interview de l'EFSA.

En revanche, 41% des articles évoquaient une source militante. Rappelons qu'une source militante est souvent l'inverse d'une expertise, rien ne garantit leurs compétences.

 article ne citant pas expert / partisan  article citant expert /partisan

Comment aborder cette problématique ?

Tous les médias commettent des erreurs, mais tous ne l'assument pas de la même façon.

Cette semaine a été marquée par l'histoire de Netflix qui aurait contacté - inquiet - l'un de ses utilisateurs après 188 heures passées devant une série en l'espace de quelques jours. Le récit est étonnant, touchant mais également défaillant. 

Nous utiliserons cet événement comme prétexte pour étudier en détails la propagation d'une fausse information dans l'espace médiatique. Comment un simple commentaire Reddit a-t-il pu terminer dans le Figaro ? Certains articles ont-ils émis des doutes ? Les médias osent-ils vraiment créditer leurs sources ? Comment les journaux réagissent t-ils en découvrant le pot aux roses ? Et comment s'est propagé le démenti de Netflix ?

Cet article n'est pas une défense de Monsanto, ni des modèles agricoles actuels. Il espère en revanche vous convaincre que les médias ne nous permettent pas d'appréhender ce débat objectivement.

Analyse détaillée

konbinidhnet.belalibre.netladepeche7sur7.be

Répartition des sources - HOAX
RedditPizzaBottlebibamagazinecnewsmatinglamourparisgraziahuffingtonpostlaprovencenice-matinlciledauphinelefigaronicematinrepublicain-lorrainslatevsddhnet.befrancesoirkonbinilalibre.belavoixdunordsputnik

Répartition des sources - Debunkage
NetflixAFPdhnet.beladepechelalibre.belatribunelexpressliberationsudinfo.belefigarocnewsmatineurope1vingtminutes.chfrancetvinfoglamourparislardennaisledauphineleparisienleprogreslunionrepublicain-lorrainhuffingtonpostkonbinilesoir.beslatevingtminutes

LE TRUC DU JAVASCRIPT EST ICI

Changez ce texte en cliquant sur le bouton.

L'orientation des titres est certainement l'une des variables les plus intéressantes à analyser. Si tout le monde ne s'intéresse pas forcément à un sujet donné, tout le monde lit les titres et en subit les influences.

Mais surprenamment, nous avons ici un traitement de l'information honorable. Les titres clairement orientés anti-glyphosate ne représentent que 14% du panel et ceux-ci n'ont pas fait l'objet d'une audience particulière (constat inhabituel sur ce blog).

On remarque cependant un effacement des titres favorables au glyphosate, s'ils correspondent à 13% des articles, ils ne font que 2% de l'audience. Cette donnée peut-être lue comme une très probable illustration du classique biais de confirmation.

contre le glyphosate,  plutôt contre le glyphosate,  ne prend pas position,   plutôt favorable au glyphosate, favorable au glyphosate

Une faible diversité de points de vue

Si dans l'ensemble, les titres ont été assez neutres, qu'en est-il des articles eux-mêmes ? Est-ce réellement le désastre annoncé ?

59% des articles proposés s'opposaient au glyphosate, dont 24% de façon assez virulente. Ce déséquilibre médiatique est bien moins prononcé qu'attendu, mais alors que nous aurions pu nous réjouir des 26% d'articles favorables, ces derniers n'ont finalement représenté que 4% de l'audience. Comme à notre habitude, nous constatons qu'écrire des billets peu rigoureux n'est pas réellement sanctionné par l'audience.

Attention au code couleur utilisé, le vert indique des articles favorables au glyphosate et non des articles exemplaires. Nous verrons plus bas que la nuance est de taille.

contre + plutôt contre le glyphosate,  ne prend pas position, favorable + plutôt favorable au glyphosate

Une fracture idéologique

Refaisons le même exercice en séparant les journaux par orientation.

Il se trouve que seulement 3% des articles de journaux classés à gauche sont favorables à l'herbicide alors que 82% s'y opposent. La fracture est évidente quand on regarde la droite qui obtient 24% d'articles favorables (8 fois plus) contre 27% de défavorables (3 fois moins). Il semble donc que sur la thématique précise du glyphosate, s'informer sur des sites orientés à gauche nous enferme dans un biais de confirmation assez significatif.

Mais d'une façon assez surprenante, les différences entre les deux courants politiques s'estompent quand nous comparons directement les audiences des articles. Malgré de nombreuses publications favorables sur les sites de droite, seuls les articles anti-glyphosate ont eu un réel succès.

Vue d'ensemble

Afin de mieux visualiser la situation, résumons l'orientation des articles journal par journal.

La distinction gauche-droite est clairement visible. Le Nouvel Obs et Libération se démarquent dans le mauvais sens avec 100% d'articles orientés, tandis que Les Echos apporte un discours bien plus favorable (à nuancer comme nous le verrons plus bas).

Répartition des arguments

Nous avons relevé le ratio d'arguments pour/contre pour chacun des 81 articles.

La médiane obtenue est de 87% d'arguments contre, ce qui n'est pas réellement une surprise compte tenu des précédents résultats. En revanche, si nous séparons une nouvelle fois les articles par orientation politique, la fracture est plus éclatante que jamais avec 100% d'arguments contre à gauche et 50% à droite !

Non seulement les articles de gauche étaient systématiquement orientés contre le glyphosate, mais aucun argument contradictoire n'y était sérieusement développé. Un lecteur ne lisant que ces médias se formera donc une opinion "personnelle" orientée sans qu'il ne le réalise forcément.

 arguments contre  arguments favorables

Comparaison des arguments utilisés

Les médias de droite semblent être les grands vainqueurs de ce comparatif, c'est pourtant loin d'être aussi simple.

Pourquoi les articles de droite sont-ils davantage "bienveillants" vis-à-vis du glyphosate ? Pourquoi ceux de gauche sont-ils si critiques ? Pour le savoir, examinons les arguments utilisés par thématique :

La situation est caricaturale, mais il semblerait que l'écrasante majorité des arguments utilisés pour défendre le glyphosate sont d'ordre économique... Chercher à interpréter ces résultats reviendrait probablement à enfoncer des portes ouvertes, mais ces données relativisent en partie le bon traitement médiatique des journaux de droite.

Les arguments les plus courants pour critiquer le glyphosate concernent l'impact sur la santé (54%), ce qui est parfaitement attendu et cohérent. Plus surprenamment, l'écologie est très en retrait (9%) tandis que les arguments alimentant les thèses à tendance complotistes sont particulièrement présents (25%).

► Comment ça du complotisme ? ( cliquez pour afficher)

Les arguments encourageant les thèses à tendance complotistes sont ceux qui expliquent le renouvellement du glyphosate en invoquant ; les accusations de science corrompue ; l'invocation du pouvoir des lobbys ; les Monsanto Papers.

Ces accusations ne sont pas forcément fausses individuellement (en particulier les Monsanto Papers qui prouvent des manœuvres douteuses) mais au vu du consensus scientifique majeur sur le sujet, ces hypothèses sont secondaires et coûteuses. Cela reviendrait par exemple à expliquer l'obligation vaccinale en invoquant le lobby pharmaceutique, comme si ce facteur était l'unique raison pouvant justifier cette décision, ce qui alimente les pensées conspirationnistes en occultant l'état de l'art de la science sur le sujet.

Focus sur deux mauvais arguments

Comme nous l'avons expliqué dans la première partie de l'article, le caractère cancérogène du glyphosate est remis en cause par 13 agences scientifiques. Parmi les articles se prononçant, seuls 7% émettent un avis rassurant !

Mais même si on admet que ces risques existent réellementles seules personnes exposées à des doses pertinentes sont très certainement les agriculteurs (rappelons que l'OMS et la FAO indiquent bien que les consommateurs ne craignent rien).

Il s'avère pourtant que les médias sont loin d'en tenir compte : seuls 25% évoquent au moins partiellement un problème spécifique aux agriculteurs... Les 75% restant se trompent donc littéralement de débat.

 s'inquiète pour les consommateurs / alarmiste  s'inquiète pour les agriculteurs / rassurant

Un consensus scientifique systématiquement ignoré

14 agences scientifiques se sont prononcées sur la cancérogénicité du glyphosate. Comment les médias ont-ils relayé ce très large consensus scientifique en faveur de l'herbicide ?

Sans surprise, celui-ci a été littéralement ignoré. Seul l'avis pourtant minoritaire du CIRC est omniprésent, l'EFSA et l'ECHA sont cités (généralement en même temps) mais bien moins souvent. C'est un cas d'école de false-balance, en ne citant que trois agences, le public ne peut qu'imaginer une incertitude scientifique.

Que l'on soit favorable ou non au glyphosate, il n'y a aucune raison de tronquer ainsi le débat.

Expertise vs idéologie

Les médias ne se sont visiblement pas basés sur le consensus scientifique... Mais alors, qui ont-ils écouté ?

Malgré la grande complexité du sujet, seuls 7% des articles ont interrogé un expert, c'est à dire une personne compétente et reconnue sur le sujet. Dans l'écrasante majorité des cas, il s'agissait d'un membre de l'INRA pour évoquer les alternatives au glyphosate, seul le Figaro se démarque avec une interview de l'EFSA.

En revanche, 41% des articles évoquaient une source militante. Rappelons qu'une source militante est souvent l'inverse d'une expertise, rien ne garantit leurs compétences.

 article ne citant pas expert / partisan  article citant expert /partisan

Le traitement médiatique :

Méthodologie

11 sites d'information ont été analysés entre le 27 et le 29 novembre (juste après la ré-homologation de l'herbicide) ce qui comprend 81 articles. Pour chacun d'entre eux ont été notés : l'opinion véhiculée par le titre, par l'article, les arguments utilisés, les experts cités, les militants cités, les agences scientifiques citées,  le nombre de partages Facebook et le nom du journal.

Pour plus d'informations sur l'élaboration de ces statistiques et sur les éventuelles faiblesses, cliquez sur les détails ennuyants ci-dessous.

Voir les détails ennuyants :

Détails ennuyants :

Choix des sites : Les 11 médias ont été sélectionnés arbitrairement et sans contrainte particulière autre que leur positionnement politique, c'est pourquoi 5 journaux de gauche et 3 de droite ont été retenus (Le Monde, Le Huffington Post, Libération, Le Nouvel Obs, Marianne à gauche. Le Figaro, L'Express, les Echos à droite. BFMTV, Le Parisien et Ouest-France en non-alignés). Ouest-France est considéré comme neutre, car son positionnement à droite est incertain. Suite à une erreur d'appréciation, Le Parisien a été initialement compté comme journal de droite, ce qui explique pourquoi la sélection ne comporte que 3 journaux de ce courant politique. En revanche, le nombre d'articles est équilibré et les statistiques ont été actualiées.

Choix de la date : La rédaction de cette analyse a commencé le 30 novembre, le renouvellement du glyphosate a eu lieu le 27 novembre, le choix de cette fourchette s'est donc fait naturellement. Les articles du 30 novembre étant peu nombreux et inintéressants (limite hors-sujets), ils ont été écartés de l'analyse afin de se concentrer sur les plus représentatifs (27-29 novembre donc). Les articles publiés le 27 novembre avant l'annonce de la ré-homologation ont été pris en compte.

Obtention des articles : Via une requête Google : «intitle:"glyphosate" site:"lemonde.fr"» dans un premier temps. Via le moteur de recherche du site du journal dans un second temps. Des oublis sont possibles, mais il est très peu probable que les tendances soulevées dans ces analyses soient remises en question (de par la grande homogénéité des résultats).

Nombre d'articles : Ce travail étant extrêmement chronophage et demandant une forte concentration, il a été décidé de s'arrêter au 11ème site, c'est-à-dire après l'analyse de 81 articles. Le panel est donc plutôt représentatif mais non exhaustif.

Articles non pris en compte : Certains articles hors-sujet ont volontairement été écartés, notamment ceux évoquant le glyphosate dans le titre mais sans en parler réellement. D'autres articles "limites" ont été malgré tout pris en compte, notamment ceux évoquant la crise politique allemande suite au vote pro-glyphosate compte tenu de leur importance (beaucoup de vues) même si pour la plupart, ils restaient neutres sur le débat de fond.

Critères pour classer les titres : Un titre est classé "pour/contre" s'il exprime sans aucune ambiguïté une opinion sur le sujet (ex: "Comment Monsanto a financé des scientifiques en Europe pour défendre le glyphosate"). Un titre est classé "plutôt pour/contre" s'il exprime une opinion discrète ou subtile (ex: "Glyphosate : le passage en force"). Un titre "neutre" ne permet pas de favoriser distinctement un camp (ex: "Macron veut interdire le glyphosate «au plus tard dans 3 ans»"). En cas de doute, le choix le moins marqué est favorisé (vers le neutre donc).

Critères pour classer les articles : Un article est classé "pour/contre" s'il exprime plusieurs arguments forts, si ceux-ci sont omniprésents dans l'article, et s'il n'y a aucune ambiguïté quant à l'opinion véhiculée. Un article est classé "plutôt pour/contre" s'il exprime au moins un argument, favorise un camp, et si l'opinion véhiculée est distinctive même si discrète ou subtile. Un article "neutre" comprend à peu près autant d'arguments favorables que défavorables et ne permet pas de favoriser distinctement un camp. En cas de doute, l'impression générale dégagée par l'article permet de trancher (sujet traité, ordre des arguments, force des arguments, ton, etc), si le doute persiste, le choix le moins marqué est favorisé (vers le neutre donc).

Critère pour lister les arguments : Un argument est considéré comme une "idée". Si un article consacre 3 paragraphes à expliquer à quel point le glyphosate est cancérogène, et 1 phrase pour expliquer que c'est rentable économiquement et sans alternative, nous comptons 2 arguments pour et 1 contre. En d'autre termes nous mesurons la variété de l'argumentation et non son intensité. De nombreux arguments marginaux, rares et peu pertinents ont peut-être été oubliés/ignorés ("On pourrait utiliser la PAC pour aider la sortie du glyphosate"), certains simplifiés ("dangereux pour la santé"), mais les arguments principaux ont fait l'objet d'une attention particulière ("cancérogène ? empoisonne l'environnement ?" etc.). A noter que l'argument spécifique "le renouvellement du glyphosate n'est pas démocratique" a été sous-estimé (de nombreux articles le sous-entendent sans le dire clairement) cette mesure ne sera donc pas commentée.

Partages Facebook : Compte le nombre de "j'aime", "partage", et commentaires Facebook. La mesure permet d'avoir un indicateur d'audience précaire mais fonctionnel. Les données sont récoltées via sharedcount.com, certains articles sont examinés via developers.facebook.com/tools/debug/sharing afin de déceler une éventuelle différence, mais les deux sites ont le même fonctionnement et donnent toujours des résultats identiques.

Agences citées : Au moins 14 agences scientifiques se sont prononcées sur le glyphosate (voir plus haut). Nous avons compté le nombre de citations pour chacune d'entre elles. Les citations indirectes ("les agences européennes") sont comptées. Les citations trop vagues ne permettant pas de deviner l'agence précise ("plusieurs agences") ne sont pas comptées.

Qualité des données : Les critères les plus discutables sont très clairement les "arguments". Relever, synthétiser et relier ces derniers nécessite de contextualiser l'information, ce qui est délicat avec 81 articles. Concrètement, si un article évoque l'étude rassurante de l'AHS, cela compte pour un argument favorable au glyphosate. S'il ajoute un paragraphe pour expliquer que cette étude est fausse, qu'en conclure ? L'argument est-il réellement favorable ? (Dans cette analyse, nous considérons que oui) Et si l'étude de l'AHS est citée, mais est contredite dans la même phrase, comment le noter ? (Ici, nous partons du principe que l'argument ne compte pas) Ces exemples montrent l'ambiguïté de la démarche.

Disponibilité des données : Le tableur est téléchargeable sur ce lien.

Conclusion

71% des français s'opposent au glyphosate.[1]Le Huff Post CNEWS. Yougov 2017 Compte-tenu du déséquilibre de l'offre médiatique actuelle sur le sujet, nous pouvons sérieusement nous demander si cet avis ne serait pas au moins en partie influencé par l'orientation des journaux.

Si nous résumons :

L'offre médiatique :
La majorité des articles disponibles sur internet sont orientés contre le glyphosate.
Les articles favorables au glyphosate sont (quasi) systématiquement des échecs d'audience.

Les différences idéologiques :
Les médias de gauche critiquent systématiquement le glyphosate.
Les médias de droite et neutres sont plus mesurés.

Les sources utilisées :
 85% des agences scientifiques favorables au glyphosate sont systématiquement ignorées.
Les médias n'interrogent presque jamais les spécialistes du sujet.
Les médias citent une fois sur deux des sources militantes sans expertise.

Les arguments utilisés :
Les arguments utilisés pour défendre le glyphosate sont d'ordre économique malgré l'existence d'arguments sanitaires et écologiques.
 Seuls 4% des articles expliquent que le glyphosate n'est pas dangereux.

Au fond, comment est-il possible de se forger notre propre opinion sur ce sujet, si notre accès à l'information est aussi restreint et orienté ? Pouvons-nous réellement rester objectif dans un tel contexte ?

Ce sont ces questions qui rendent la polémique du glyphosate si passionnante à étudier, elle mérite réellement qu'on s'y attarde, ne serait-ce que pour le merveilleux exercice d'esprit critique qu'elle est.

 

Si cet article vous a plu, n'hésitez pas à le partager afin de soutenir notre démarche.
(En espérant que cette analyse vous aidera à alimenter des débats sur ce sujet qui en manque cruellement)

 

Pour télécharger les données brutes (format excel) cliquez ici.

Avez-vous apprécié cet article sur le traitement médiatique du glyphosate ?

Références   [ + ]

1. Le Huff Post CNEWS. Yougov 2017



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